Histoire

Alexandre Grothendieck est né le 28 mars 1928 à Berlin, mort le 13 novembre 2014 à Saint Girons dans l’Ariège. Il a profondément marqué les mathématiques du XXe siècle. En fait, il a joué un rôle dans les mathématiques équivalent à celui d’Einstein dans la physique. Son passage durant une vingtaine d’années dans les mathématiques a été un véritable cyclone. Il a revu en profondeur la notion d’Espace. Son œuvre a donné lieu à une dizaine de médailles Fields depuis les années 70.
Il porte le prénom de son père d’origine Russe, mort en 1942 dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, et le nom de sa mère d’origine Allemande, auprès de laquelle il partagera sa vie jusqu’à son décès en 1957.
Lycéen au Collège Cévenol, il développe un goût prononcé pour les maths. « Je passais pas mal de mon temps, même pendant les leçons, à faire des problèmes de maths. Bientôt ceux qui se trouvaient dans le livre ne me suffisaient plus. (…) Ce qui me satisfaisait le moins, dans nos livres de maths, c’était l’absence de toute définition sérieuse de la notion de longueur (d’une courbe), d’aire (d’une surface), de volume (d’un solide). Je me suis promis de combler cette lacune, dès que j’en aurais le loisir. » (5)

Il obtient son bac en 1945 mention Très Bien, puis va à l’Université de Montpellier pour préparer une licence de Mathématiques qu’il obtient en 3 ans au lieu de 2, obsédé par la résolution d’intégrale hors programme, dite Intégrale de Lebesgue. « Pourtant, en repensant maintenant à ces trois années, je me rends compte qu’elles n’étaient nullement gaspillées. Sans même le savoir, j’ai appris alors dans la solitude ce qui fait l’essentiel du métier de mathématicien – ce qu’aucun maître ne peut véritablement enseigner. Sans avoir eu jamais à me le dire, sans avoir eu à rencontrer quelqu’un avec qui partager ma soif de comprendre, je savais pourtant, “par mes tripes” je dirais, que j’étais mathématicien : quelqu’un qui “fait” des maths, au plein sens du terme – comme on “fait” l’amour. La mathématique était devenue pour moi une maîtresse toujours accueillante à mon désir. » (5)

« Pour le dire autrement : j’ai appris, en ces années cruciales, à être seul. J’entends par là : aborder par mes propres lumières les choses que je veux connaître, plutôt que de me fier aux idées et aux consensus, exprimés ou tacites, qui me viendraient d’un groupe plus ou moins étendu dont je me sentirais un membre, ou qui pour toute autre raison serait investi pour moi d’autorité. Des consensus muets m’avaient dit, au lycée comme à l’université, qu’il n’y avait pas lieu de se poser de question sur la notion même de “volume”, présentée comme “bien connue”, “évidente”, “sans problème”. J’avais passé outre, comme chose allant de soi – tout comme Lebesgue, quelques décennies plus tôt, avait dû passer outre. C’est dans cet acte de “passer outre”, d’être soi-même en somme et non pas simplement l’expression des consensus qui font loi, de ne pas rester enfermé à l’intérieur du cercle impératif qu’ils nous fixent – c’est avant tout dans cet acte solitaire que se trouve “la création”. Tout le reste vient par surcroît. » (5)
Après avoir eu sa licence en juin 1948, à vingt ans, il monte à Paris avec une lettre de recommandation pour Elie Cartan, qui lui fait rencontrer Henri Cartan son fils, enseignant à l’ENS. Dans un univers courtois et bienveillant, il est invité à suivre ses conférences et rencontre les mathématiciens du séminaire Bourbaki. Cartan l’encourage à faire une thèse à l’Université de Nancy, là où enseignent Laurent Schwartz et Jean Dieudonné, membres du groupe Bourbaki.
A son arrivée, ceux-ci lui soumettent 14 problématiques que la communauté mathématique ne sait pas résoudre à l’époque en lui suggérant de travailler sur quelques-uns de son choix. Un seul problème pouvant d’ailleurs être traité comme un sujet de thèse. Grothendieck disparait pendant quelques semaines et revient avec la solution de la moitié d’entre elles. Un an plus tard, il résout toutes les autres.

Il est alors spontanément accepté par ses pairs pour ses qualités hors normes de travail et d’abstraction et commence à rédiger sa thèse en 1951 sur les « Produits tensoriels topologiques et Espaces nucléaires ». En parallèle, il publie ses résultats dans plusieurs articles longs de plusieurs dizaines de pages. Enfin, le 28 février 1953, il soutient sa thèse, devant un jury composé de Cartan et Schwartz entre autres. Et voici ce qu’en dit Schwartz dans son autobiographie : « Sa thèse était un monument de plus de 300 pages, un chef d’œuvre de première grandeur…Il fallait la lire, l’apprendre, la comprendre, car tout était difficile et profond… J’y mis six mois à plein temps. Quel travail, mais quelle joie ! Les énoncés des théorèmes étaient kilométriques, car il n’épargnait rien au lecteur. J’y appris quantité de choses nouvelles. Ce fut la plus belle de “mes” thèses. Je connaissais depuis longtemps les plaisirs de l’enseignement et de la recherche personnelle, mais la collaboration avec ce jeune homme si talentueux constitua une expérience fascinante et enrichissante. Grothendieck fut aussitôt reconnu à l’échelle mondiale comme le grand maitre des espaces vectoriels topologiques ».(3) Cette thèse devient le document le plus cité durant les 3 décennies suivantes.

Comme il n’a pas encore la nationalité française, il ne peut être engagé comme enseignant- chercheur en France. Il s’exile alors pour enseigner à l’Université de Sao Paolo au Brésil dès Mars 1953 et effectue en parallèle des avancées considérables dans le domaine de l’analyse fonctionnelle puis de la géométrie algébrique à partir de 1954. Il enseigne ensuite à l’Université du Kansas aux Etats-Unis durant 2 ans. Il obtient enfin en 1956 un poste au CNRS à Paris. On construit l’IHES, l’Institut des Hautes Etudes Scientifiques à Bures sur Yvette, pour l’accueillir et lui permettre d’enseigner la géométrie algébrique à partir de 1958.
« Au niveau quantitatif, mon travail pendant ces années de productivité intense s’est concrétisé surtout par quelques douze mille pages de publications, sous forme d’articles, de monographies ou de séminaires, et par des centaines, si ce n’est des milliers, de notions nouvelles, qui sont entrées dans le patrimoine commun, avec les noms même que je leur avais donné quand je les avais dégagées. Dans l’histoire des mathématiques, je crois bien être celui qui a introduit dans notre science le plus grand nombre de notions nouvelles, et en même temps, celui qui a été amené, par cela même, à inventer le plus grand nombre de noms nouveaux, pour exprimer ces notions avec délicatesse, et de façon aussi suggestive que je le pouvais. »(5)

Voici les thèmes de recherche qu’il a ouvert durant ses années :
1. Produits tensoriels topologiques et espaces nucléaires
2. Dualité « continue » et « discrète »
3. Techniques Riemann-Roch-Grothendieck
4. Schémas
5. Topos
6. Cohomologie étale et l-adique
7. Motifs et groupe de Galois motivique
8. Cristaux et cohomologie cristalline, yoga « coefficients de De Rham », « coefficient de
Hodge »
9. « Algèbre topologique » ∞-champs, dérivateurs ; formalisme topologique des topos,
comme inspiration pour une nouvelle algèbre homotopique
10. Topologie modérée
11. Yoga de géométrie algébrique anabélienne, théorie de Galois-Teichmüller
12. Point de vue « schématique » ou « arithmétique » pour les polyèdres réguliers et les
configurations régulières en tous genres.
En 1966, on lui offre la médaille Fields qu’il refuse d’aller chercher à Moscou en Urss en signe de protestation contre l’insurrection de la Hongrie en 1956. Par la suite, il l’offre au Vietnam lors d’un court séjour pour que son or soit exploitée avec profit.

En 1970, découvrant que son employeur reçoit des capitaux du ministère de la défense, il s’éloigne des mathématiques et quitte l’IHES pour former le groupe militant écologiste radical « Survivre et vivre ». La publication du journal s’élèvera jusqu’à 12 000 exemplaires. En 1971, il est enfin naturalisé français. De retour à Montpellier, il trouve un poste au CNRS et à l’Université comme professeur, où il enseigne jusqu’à sa retraite en 1988. En parallèle à ses travaux, il médite et se consacre à l’écriture : « Récolte et semailles » entre 1983 et 1986. C’est un texte autobiographique, philosophique et poétique long de 1000 pages, qui sera publié par Gallimard en janvier 2022.
En 1988 il refuse le prix Crafoord accordé par l’Académie Royale des Sciences de Suède, partagé avec Jean Deligne. Trop désabusé par ce qu’est devenue la recherche scientifique, opposé au pillage entre confrères, absolument pas matérialiste, il considère que son salaire d’enseignant lui suffit largement pour vivre.
En 1990, il se retire de la société, poursuit ses méditations et continue d’écrire.
Le 3 janvier 2010 il annonce qu’il ne veut plus que le moindre de ses travaux soient publiés.
Voici la déclaration d’intention de non-publication de Grothendieck : « Je n’ai pas l’intention de publier ou de republier aucune œuvre ou texte dont je suis l’auteur. (…) Si mes intentions d’auteur clairement exprimées ici devaient rester lettre morte, que la honte de ce mépris retombe sur les responsables des éditions illicites et des bibliothèques concernées. »

« La méditation est une aventure solitaire. Mais la connaissance qui nait du travail de méditation est une connaissance solitaire. Une connaissance qui ne peut être partagée, ni communiquée. Ou, si elle peut être partagée, c’est seulement en de rares instants. Il n’y a de méditation qui ne soit solitaire. Seul l’enfant par nature est solitaire. Les mêmes mots simples et limpides sont impuissants à communiquer un sens à autrui quand ils se heurtent aux portes closes de l’indifférence et de la peur. Même le langage du rêve d’une toute autre force et ressource infinie, renouvelée sans cesse par un rêveur infatigable et bienveillant n’arrive pas à franchir cette porte-là. » (6)

 

Sources :
(1) https://www.youtube.com/watch?v=05X_TQoPRSQ
(2) https://www.youtube.com/watch?v=HbHdBapC5e8
(3) https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01314594/document
(4) https://lejournal.cnrs.fr/articles/les-mille-paysages-de-la-geometrie-algebrique
(5) https://agrothendieck.github.io/divers/ReS.pdf
(6) http://cm2vivi2002.free.fr/AG-biblio/AG-clesonges.pdf
(7) https://archive.org/details/AlexandreGrothendieck-UneVieDigneDtreVcue

Cours de maths - Maya Mokus